En 2025, on comptera quasiment 40 millions de dispositifs d’agriculture intelligente selon l’IDAT. Un chiffre qui tend à augmenter exponentiellement avec le temps. Et pour cause : dans les grands enjeux de l’agriculture de demain, l’IOT détient un rôle clef, voire vital…
L’agriculture, un domaine qui s’accroche à des méthodes traditionnelles ? Rien de plus faux. Aux derniers trophées de l’innovation IOT décernés par CompassIntel, pas moins de trois innovations se rapportaient au domaine agricole, dont le 1er lauréat et le troisième. Rien de plus naturel, finalement, quand on jette un regard historique sur l’agriculture. Depuis le néolithique, ce domaine s’est imposé comme le siège des innovations de son temps et a opéré des « révolutions » régulières. L’arrêt de la jachère et l’introduction des légumineuses, dans un premier temps, la mécanisation, et enfin l’industrialisation. Dans la deuxième décennie du 21e siècle, l’agriculture a donc logiquement emprunté le virage d’une transition agroécologique et numérique. Jusqu’à cette époque, l’enjeu auquel elle semblait vouloir répondre majoritairement était celui d’une augmentation de la productivité, quitte à générer au passage beaucoup de pollutions. Aujourd’hui, les enjeux sont multiples… et de taille.
Des défis alimentaires
En 2050, la population mondiale devrait atteindre 9.8 milliards d’habitants : une hausse de près de 25% selon les Nations Unies. De l’autre côté, 70% de la population sera urbanisée. Or, aujourd’hui, 800 millions de personnes sont déjà confrontées à un manque de nourriture : une personne sur neuf, selon l’Organisation mondiale de la santé. De même, une mort sur cinq dans le monde aurait pu être évitée avec une alimentation de meilleure qualité, selon une étude menée entre 1990 et 2017 dans 195 pays.
Tous ces chiffres nous disent de façon criante qu’il y a un besoin fort en agriculture en termes de quantité et de qualité. Ils révèlent aussi des défis de taille concernant l’espace. Les terres cultivables ne sont pas infinies, elles ont déjà été très abîmées par l’agriculture intensive, et l’urbanisation croissante ne permet pas forcément de les étendre. Enfin, l’enjeu d’une agriculture plus durable se dessine de plus en plus urgemment. Dans tous ces domaines, l’IOT a un rôle clef à jouer pour construire l’agriculture de demain.
L’agriculture, un monde de données pour l’IOT
L’agriculture est un domaine qui repose presque exclusivement sur des données très concrètes, et très mesurables. Or, qu’est-ce que l’IOT ? La possibilité de capter des données et de les traiter pour permettre à un utilisateur ou une machine de les utiliser. Véronique Bellon Maurel, dans un rapport sur le sujet, parle en ce sens d’un « agriculteur augmenté dans ses capacités de perception ».
De nombreux appareils et capteurs connectés permettent de capter des données sur l’humidité et le PH des sols, la pollution de l’air, les déplacements des animaux, les maladies (des plantes ou animaux), la température, l’ensoleillement… Bref, sur absolument tous les aspects qui influent sur la croissance des plantes ou sur l’élevage. Et si ces dispositifs existent depuis déjà un moment, l’IOT leur donne une dimension particulière. En rendant tous les capteurs connectés, il devient possible de relier les données à des plateformes qui les traitent. L’agriculteur est alors en mesure de faire des choix plus éclairés sur certains aspects de son activité, de recevoir des alertes d’urgence ou même d’automatiser la gestion de tâches. Dans une analyse de 67 études sur les innovations IOT du moment, une équipe de chercheurs ont déterminé que les usages les plus fréquents portent sur le contrôle de l’irrigation, l’agriculture de précision, et le suivi de la qualité des sols.
Schéma de répartition des usages de l’IOT en agriculture | Muhammad Shoaib Farooq et al.
L’IOT comme réponse aux grands enjeux écologiques et sociaux
On parle beaucoup de « l’agriculture de précision ». Mais de quoi s’agit-il, au juste ? En fait, c’est justement le cœur de ce que l’IOT peut apporter dans ce domaine. Grâce aux mesures précises et locales des capteurs, mais aussi grâce aux données récoltées partout dans le monde, les agriculteurs sont en mesure de gérer leurs fermes de façon bien plus précise et en s’adaptant parfaitement aux conditions locales. Cela leur donne un immense pouvoir de décision. Ils sot en mesure de savoir quand récolter pour que le rendement soit meilleur, traiter précisément une maladie avant qu’elle ne se répande, quelle dose d’eau introduire pour que l’humidité des sols soit optimale, où encore planter pour plus d’efficacité… Or, un meilleur rendement, cela veut aussi dire moins de terres nécessaires pour cultiver la même quantité.
Avoir une connaissance plus fine de ce qui se passe sur le terrain, c’est aussi développer la possibilité de réduire drastiquement l’usage des pesticides, herbicides, fertilisants et autres agents polluants. Et c’est d’autant plus pertinent qu’aujourd’hui les plantations sont capables d’absorber moins de la moitié des nutriments qu’on leur fournit, le reste ne contribuant qu’à polluer les sols. L’amélioration de la rentabilité, et l’automatisation de certaines tâches chronophages permettent aussi une amélioration du confort et du niveau de vie des agriculteurs, aujourd’hui largement fragilisé.
Enfin, l’enjeu de l’IOT en agriculture répond aussi à des besoins d’économies d’eau. Il faut rappeler que seul 0,5% de l’eau sur notre planète est « utilisable ». La majeure partie est en effet soit de l’eau de mer, soit de l’eau des glaciers, ou stagne dans des nappes hors d’atteinte. Or, l’agriculture utilise 70% de cette ressource très limitée. En créant des systèmes qui permettent de déterminer très exactement l’état des sols, il est possible de limiter la consommation en eau en utilisant des quantités précises. Des IA sont même capables de se baser sur les données existantes pour savoir quand irriguer, en fonction des données locales et des expériences passées. Non seulement de l’eau est économisée, mais il y a aussi de cette façon moins de pertes agricoles.
Nouvelles pratiques agricoles et IOT
Au-delà de l’amélioration des fermes existantes, de nouvelles pratiques se développent rapidement. Et elles sont plus que compatibles avec l’usage de l’IOT.
Les cultures verticales : face au manque de terres agricoles, certaines fermes se développent désormais… Vers le haut ! Ces structures, en milieu fermé, se reposent beaucoup sur les capteurs connectés. En effet, la culture en intérieur met les plantes à l’abri des intempéries. Il est alors possible d’arriver à une grande précision en régulant tous les paramètres de culture via l’IOT. Et cela fonctionne plutôt très bien. Au Japon, la ferme verticale Mirai a prouvé qu’elle pouvait produire jusqu’à 10.000 têtes de laitues par jour, en consommant 40% d’énergie en moins et en réduisant la consommation d’eau de 99% en comparaison d’une production similaire en extérieur.
Les cultures hydroponiques : très compatibles avec les cultures verticales, les cultures hydroponiques consistent à mettre en contact les racines des plantes directement avec une eau contenant les nutriments nécessaires à leur croissance plutôt que de passer par de la terre. Les cultures hydroponiques sont souvent associées avec de la pisciculture, pour créer des nutriments naturels à partir des déchets des poissons. Là encore, l’IOT joue un rôle clef pour déceler les besoins en nutriments et ajuster la composition de l’eau. En combinant les fermes verticales et hydroponiques, des chercheurs ont déterminé qu’il était possible de produire plus sur moins de terrain, tout en utilisant 95% d’eau et de fertilisants en moins. Aucun herbicide ni pesticide n’est nécessaire non plus.
La redistribution des denrées : la question du transport de nourriture est on ne peut plus basique, mais pourtant cruciale pour l’avenir alimentaire de l’humanité. Pourquoi ? Parce que nous produisons déjà plus qu’il n’en faut pour nourrir la population mondiale. Pourtant, selon les Nations Unies, un tiers de ces denrées alimentaires sont gaspillées. Et cela aussi a un impact écologique énorme. Avec l’eau perdue pour ces aliments non consommés, il serait possible, à titre d’exemple, de couvrir la totalité des besoins en eau de l’Afrique. Quel rôle pour l’IOT dans tout cela ? Celui du transport de nourriture. Beaucoup de denrées sont perdues en raison d’une mauvaise conservation. En utilisant des capteurs de température connectés, il est possible de résoudre ce problème. En Inde, une étude a montré que l’utilisation de capteurs dans la chaîne du froid en transport pouvait faire passer la durée de vie des aliments en rayon d’une semaine à deux mois. 76% de réduction sur le gaspillage a été constaté, ainsi qu’une réduction des gaz à effet de serre de 16%.
IOT et politiques agricoles
Face à ces chiffres et ces enjeux, l’avenir de l’IOT dans l’agriculture semble tout tracé. Pourtant, Véronique Bellon Maurel souligne l’importance de suivre cette évolution par des politiques adéquates. En effet, la question de la fracture numérique dans le monde n’est pas résolue, et il ne faudrait pas que l’IOT en agriculture rime avec l’introduction de nouvelles inégalités. Or, de nombreux agriculteurs constituent plutôt un public éloigné des technologies. Comme pour tous les dispositifs IOT, les questions liées à la sécurité des données et des accès se posent également face à l’explosion de l’offre.
Nos sources :
Modern Farming Methods and Cultures Using IOT: A Review, Navdeep Kaur, American Journal of Computer Science and Information Technology, 2021.
Role of IoT Technology in Agriculture: A Systematic Literature Review, Muhammad Shoaib Farooq et al., Electronics, 2020.
Le numérique : levier de l’agriculture durable, Véronique Bellon-Maurel et Isabelle Piot-Lepetit, Les cahiers du cercle des économistes, 2021.
Internet-of-Things (IoT)-Based Smart Agriculture: Toward Making the FieldsTalk
Muhammad Ayas et al., IEEE access, 2019.